dimanche 31 juillet 2011

LAFAYETTE / 1 day

Dimanche 31 Juillet / DAY 23

On prend la route pour Lafayette. On quitte l'interstate au bout de deux heures pour se rendre plus au sud à Lake Fausse Pointe, qui selon Justin est "the swampiest place ever". C'est beau, mais c'est loin d'être aussi marécageux qu'un Lac St Martin où nous avions préalablement prévu d'aller, le bayou par excellence selon les guides, moite et sombre à souhait. Point d'alligator, point, pour nous, de cyprès mousseux plongés dans l'eau, mais une balade en canoë sur les canaux qui se ramifient sur un partie du lac.

On se perd presque. En plus, Thomas et Xavier se disputent sur la technique à adopter pour ramer efficacement. Vraiment, c'est la fois où ils ont le plus été en colère l'un contre l'autre. C'était sans doute inévitable, surtout à trois dans une seule embarcation avec deux rames seulement. Je pense à ma mère, elle en rirait, à chaque fois que l'été nous lui soumettions avec ma soeur une sortie canoë sur l'Yon, elle répondait que oui, ça fait envie, mais non, c'est trop pénible, on passe son temps à cogner dans la berge et on s'engueule à chaque fois. Ca gâche la journée. Et déjà que là, on boudait un peu de ne pas voir de bayou...



Pour une fois, je suis diplomate, on se calme, on avance plus ou moins selon le plan bizarre qui nous a été donné à l'entrée du parc (tout à l'heure, avant que, attablés dans une aire de pique-nique à l'orée d'un parking vide, l'humeur en berne à cause des moustiques, des bizarres odeurs environnantes et de la chaleur presque insoutenable, nous ne mangions à trois en guise de déjeuner une petite conserve de haricots rouge-sauce sucrée).

Et puis malgré nous, à la force de nos biceps, nous rejoignons le lac à proprement parler - le but aurait été, plutôt, de naviguer parmi les chemins d'eau. C'est beau, très vaste et pourtant peu profond. A tremper sa main dans l'eau, on conclut qu'elle est chaude, quelque chose peut-être comme 27° C. Finalement, dans un coin à l'ombre sur le chemin du retour, on se déshabille un peu et se met à l'eau, plus pour s'amuser que pour se rafraîchir.



On amarre notre embarcation à un ponton brûlant. On ne peut pas vraiment plonger, mais on se marre bien en s'enfonçant à mi-mollet dans la vase. Cécile ne veut pas toucher de ses pieds à ce sol visqueux et crie à chaque fois qu'elle le frôle. Je fais le malin, mais je redoute à moitié qu'un croco pointe son nez.

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On se rend ensuite à Lafayette, simple étape, pour une nuit chez Zahra avant de partir pour Big Thicket - Texas le lendemain. Mais notre hôte n'est pas chez elle et n'y sera pas pour plusieurs jours. On ne la connaît pas, mais nos échanges d'emails lui ont plu, elle me dit au téléphone qu'elle trouve notre voyage génial et regrette de ne pouvoir en parler avec nous ; c'est incroyable : elle nous  laisse donc son appartement ouvert. Quel bonheur que de pouvoir profiter d'un lieu rien que pour nous après toutes ces semaines de couch surfing, sans obligation de subir les horaires des autres ou de faire du small talk. Du coup, on choisit de partir acheter de quoi se préparer un chouette repas. 


(changement de temps)


Je m'étais trouvée un peu malade sur la fin de la route pour Lafayette, aussi quand Xavier et Thomas sont sortis faire des courses pour le dîner, je suis restée seule dans l'appartement. J'ai pris une douche et pour une fois, au sortir de la salle de bains, je n'ai pas eu cette sensation un peu désagréable d'être moite malgré le fait de s'être juste séchée : il faisait chaud, un temps orageux même, mais pas exagérément humide. J'ai enfilé la petite robe noire que j'avais trouvée à La Nouvelle Orléans. Elle se cintre à la taille grâce à un mince ruban. J'ai chaussé mes nus-pieds et me suis maquillée un peu, pour oublier ma baisse de forme passagère. Ca devait être un repas de fête, un peu. 


reproduction d'un dessin d'enfant, dans la chambre du copain de Zahra ░┼░


Il fut d'ailleurs excellent. Thomas s'était rappelé le nom d'un bon vin rouge (Casillero del diablo) et avait décidé du menu : des pâtes aux brocolis, anchois, piments, lait de coco et pignons de pin. Xavier, d'ailleurs, l'a élu d'emblée meilleur repas du voyage. 

Nous avons lancé une machine à la laverie de la résidence, en bas, près de la piscine ouverte qui faisait grise mine sous la pluie. Dans la lumière déclinante, sa surface piquée par les grosses gouttes et les tristes transats de plastique blanc, depuis la coursive de l'immeuble, prenaient un tour assez cinématographique. 

On s'est endormis alignés tous les trois dans le salon. Nos vêtements, à côté, sentaient bon la lessive, c'était chouette.
 

jeudi 28 juillet 2011

NEW ORLEANS part 2 / and three more days

Jeudi 28 Juillet / DAY 20

Je retrouve Justin à 10h du matin, il a les yeux d'un type qui a dormi 3 heures, il me file les clés de son appart, on dépose nos affaires et on retourne explorer le Vieux Carré.

On se fait un full English breakfast en guise de brunch au Fleur de Lys, on déambule, on finit rapidement sur Jackson Square, on s'installe à l'ombre sur d'immenses bancs en demi-lune, un type endormi pète si fort qu'il en fait vibrer tout le banc, son voisin nous adresse un sourire goguenard et complice. Je laisse Cécile et Xavier à leurs cahiers et cartes postales, direction the music factory pour un peu de record digging en quête de quelques trésors locaux. Cécile et Xavier me rejoignent vite pour cause de pluie diluvienne. Je ne trouverai en soul néo-orléanaise qu'un Lee Dorsey et un Dixie Cups.

On continue notre errance, on se retrouve devant le couvent des Ursulines, où l'on aimerait voir un diorama de 1915. Ledit couvent est fermé pour cause de vernissage privé, mais puisque nous sommes français, les deux femmes postées au portail nous invitent à entrer. On trouve là quelques stagiaires françaises, du vin, du faux fromage, des 
crakers, du pain tout mou, d'opulentes poitrines et cette fameuse exposition sur le père Antoine, figure notable de la Nouvelle Orléans du XVIII - de diorama, point.


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On reste là finalement plusieurs heures. Moi, ça m'embête un peu - d'où peut-être l'auto-portrait dans les sanitaires. L'expo est très succinte et pas terrible (malgré le potentiel comique de Père Antoine). Je ne sympathise pas tellement avec les stagiaires, que je trouve un peu limitées et méprisantes quand il s'agit de parler de la ville et de ses habitants. Il faudrait discuter d'Histoire, d'institutions, d'archives, comme Xavier, mais ce n'est pas mon truc. Sans compter que les mamelons, forcément, ça m'affole moins. (Je fais exprès les enfants).

On profite un peu de l'appart de Justin avant qu'il ne rentre, enfin un salon propre ! On se tâte pour une soupe (essayez, ça marche !), puis Justin débarque avec un peu de soul food qu'il nous offre pour s'excuser des déconvenues de la veille. C'est sacrément bon. On discute, on écoute de la musique, il joue un peu de batterie, je consulte un chouette ouvrage très documenté sur les Stones.


Vendredi 29 Juillet / DAY 21


Vers neuf heures du matin, nous nous éveillons, un peu avant Justin qui est en retard pour partir travailler. Le petit-déjeuner et la toilette sont rythmés par la musique proposée par Radio New Orleans, diffusée partout dans l'appartement par des hauts-parleurs cachés dans le plafond de chacune des ses pièces. Du jazz, naturellement. 

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A midi, nous partons faire un tour au cimetière St Louis, où se trouve la tombe de Marie Laveau, illustre prêtresse vaudou, qui accueille les modestes offrandes d'anonymes (colliers typiques issus de la tradition du carnaval, maquillage, bouts de tissu, … badges, cartes, tickets, coton tiges... ).

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Nous filons ensuite au presbytère sur Jackson Square, ancienne place d'armes de la ville française je crois, pour visiter une exposition sur l'ouragan Katrina, ses causes, ses manifestations, ses conséquences. Le visiteur y est accueilli par le piano déglingué de Fats Domino, dans l'état où il a été trouvé suite au passage des ouragans. Je prends quelques notes au cours de la visite. J'en recopie quelques-unes ici. 

"The success of river control inadvertently helped destroy coastal wetlands, which allowed storm-induced surges of gult water to intrude farther inland." (Le système performant de contrôle des eaux fluviales a ironiquement concourru à la destruction des marais de la côte, ce qui a permis aux afflux d'eaux provoqués par l'ouragan d'avancer plus loin dans les terres.)

Le Superdome (immense stade) a une capacité d'accueil usuelle de 10 000 à 12 000 personnes ; le 1er septembre, il est ammené à protéger 35 000 personnes. 
Une grande partie du toit est emportée par les vents de Katrina, ouvrant la voie aux bourrasques et à l'eau, et entraînant chez les réfugiés la peur que l'édifice ne s'écroule. La coupure d'électricité laisse les gens dans l'ombre et l'humidité. Les sanitaires étant sur-occupés, les gens sont forcés de se soulager où ils peuvent. Cela devient, selon le maire, "real ugly, real fast".

Chaos : "Plus d'une douzaine de policiers New-orléanais, retraités ou toujours en exercice, ont été accusés d'avoir tiré sur des civils ou d'avoir étouffé des incidents."

"The road home program" : financé par l'Etat fédéral, il s'agissait d'un programme visant à compenser les dégâts immobiliers non-assurés des Louisianais suite aux ouragans Katrina et Rita. Pour en profiter, il fallait au choix opter pour une aide à la reconstruction ou bien vendre son bien immobilier au programme et déménager. 8,61 millions de dollars ont été distribués ; le programme comptait 127 792 bénéficiaires en septembre 2010. Mais les règles du programme changeaient souvent, les biens immobiliers étaient souvent sous-estimés, et surtout le système pâtissait d'une grande lenteur administrative. En 2010, une court fédérale a établi que le "Road home program" était discriminant, aux dépends des propriétaires afro-américains. Les bourses étaient basés sur les valeurs immobilières précédant l'ouragan au lieu des frais de réparation. 

Nous avons trouvé cette expo plutôt bien conçue, pédagogique mais aussi largement mélodramatique. L'omniprésence un peu relou du mot "résilience" et le film de clôture nous ont un peu gênés. Nous sommes quand même restés là-bas une bonne partie de l'après-midi. J'étais un peu passée à côté de ces informations-là. Je pense m'être justifiée alors avec l'idée que les Etats-Unis étaient un pays bien pourvu pour affronter ce genre de catastrophe et c'était totalement idiot de ma part. Les disparités, évidemment, y sont effrayantes au contraire (et le fait que les habitants du sud de la Louisiane se soient sentis abandonnés par les pouvoirs publics américains est un exemple, s'il en faut, qui me donne tort). 

Nous déjeunons créole ensuite, chez Coop's dont l'enseigne figure un alligator gourmand : des bols de sortes de ragoûts. Pinces de crabes, huîtres cuites -bouillies en fait-, riz et eau parfumée. Gumbo (pas mal), Jambalaya (alright). Et puis après quelques tentatives ratées (disquaire et thrift store clos), nous nous nous dirigeons vers le grand City Park, aux pelouses gorgées d'eau et aux chênes majestueux, décorés de végétation parasite en forme de guirlandes dégoulinantes. De la fougère aussi bien envahit leurs branches.


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C'est ici que nous nous sommes installés pour écrire nos cahiers, après nous être utilement enduits de répulsif à moustiques - voilà le genre de chose dont on oublie de parler dans un cahier de voyage et qui pourtant conditionne pas mal un séjour : les piqûres de moustique. Xavier, lui, bouquine son guide, il va devenir imbattable sur l'histoire de la Louisiane, assurément.

Quand la nuit commence à tomber nous quittons le parc dans l'idée de retrouver Justin pour aller manger à Napoleon House. L'endroit est plus ou moins l'état, les murs en sont décrépis, cela participe au charme supposé de cet historic landmark.
C'est une vieille demeure à la peinture décrépie soit disant destinée à l'Empereur corse comme refuge au retour de St Hélène. Y est-il jamais venu ? On dîne dans le patio de style colonial. L'endroit est à la fois cosy (couleur, lumière et mobilier), guindé (serveur en chemisette et noeud pap) et tropical (plantes, coursives, chaleur moite, et ventilateurs au plafond). Alors que nous venons de passer commande, Justin, à l'aise, s'adresse au serveur tiré à quatre épingles en lui donnant du "you know what, sir, I think I'll need a couple of minutes to make my mind." On boit pas mal de bière locale, la nourriture n'est pas folle contrairement à ce à quoi l'on pourrait s'attendre vu l'allure du lieu, mais c'est bon, et nourrissant, et nous n'en demandons pas tellement plus (actually, Xavier did. Il commande une entrée de boudin et un copieux poboy - de "poor boy"). Justin est loquace, il nous raconte tout du pourquoi les Etats-Unis sont un pays aussi divers que l'Europe, pourquoi il n'est pas monogame, tout de sa virée hallucinée en voiture qui a fini dans une beer-barn (une grange drive through à bière où l'on rentre en voiture et se fait servir des caisses de bière au volant, bravo l'Amérique). Il a trente ans et parfois son enthousiasme adolescent le fait oublier. 

Une fois rentrée, je m'endors sur le gros pouf du salon, Thomas fume avec Justin je crois, j'imagine que Xavier parcourt le livre qu'ils ont tous les deux avidement lu, sur les Rolling Stones, par Bill Wyman. 


Samedi 30 Juillet / DAY 22


Rien que de faire le trajet de l'appartement de Justin à la voiture avec nos sacs sur le dos, nous sommes trempés de sueur. Je pense à ce moment-là aux futures randonnées dans les déserts de l'Utah. Un cheval pantelant attelé à une calèche attend en plein cagnard quelque touriste ; derrière lui, posé sur le siège du cochet, un gros paquet de carottes épluchées est déjà éventré, que l'animal, pour sa chance, ne peut pas voir.


Les garçons passent deux bonnes heures de notre début de journée à rechercher des 45 tours dans la mine de Jim Russell sur Magazine Street. C'est sacrément poussiéreux, il fait chaud, pas de clim pour une fois, je n'ai jamais autant transpiré en cherchant des disques mais qu'importe, j'y serais bien resté plusieurs jours. Des bacs à n'en plus finir et des murs entiers de 45 tours. J'y trouve un sacré paquet de disques à $3, du classique au plus obscur. Lavern Baker, Castaways, Music Machine, Orlons, Merry Go Round (encore), Association...

Pendant ce temps, je parcours la très belle et calme Canal Street que divise sur la longueur un large terre-plein de pelouse ponctué de bancs, de fontaines et d'arbres centenaires dont les lourdes branches survolent le sol comme si elles avaient poussé en subissant des convulsions. 


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Je trouve au thrift store que j'avais repéré sur internet quelques pin's, une robe noire, une jupe bleue et un tee-shirt à rayures. Tous les vêtements sont cédés pour $2 la pièce. 

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Nous mangeons dans un resto mexicain des burritos ou quesadillas copieux, c'est un moment très agréable si l'on fait abstraction de la sur-climatisation du lieu. De toute façon, on retourne vite dans la chaleur du jour en parcourant Magazine Street. On fait de courtes étapes dans quelques fripperies, dans une échoppe d'instruments de musique où d'improbables tambourins dominicains prétendument rares sont empilés par vingtaines. Thomas achète un milk-shake à la fraise très sucré, bref, on s'arrête tous les dix mètres en parfaits touristes. Pour découvrir les grandes demeures plantées dans de riches jardins de Garden District, on choisit d'emprunter le streetcar vert de la ville. L'engin est d'époque, très beau. Comme toujours devant ces géniales machines, je pense à grand-père, que je devrais lire La Bête humaine, immanquablement j'amalgame les illustrations sur l'apogée de l'âge industriel, Tennessee Williams, les quais enfumés, le fourmillement bruyant des gares lors des premiers congés payés, la planche de la bande-dessinée sur Gandhi où il se fait jarter d'un wagon blanc et le manteau de polytechnicien de Pierre Bailly. 

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Après cela, c'est l'heure de rejoindre la maison d'Alyssa, sur qui j'ai aussi projeté pas mal de clichés ; je reste surprise en traversant son quartier. 
On est à la fois heureux et un peu désemparés de découvrir cette partie de la ville, où la peinture craquelle encore plus qu'ailleurs, où une maison sur cinq est abandonnée. Elles sont toutes construites sur le même modèle, sur pilotis, tout en long - depuis l'entrée jusqu'au jardin, une enfilade de pièces - et portent le stigmate en croix de la visite des secours après Katrina. Alyssa m'explique que certains habitants se sont empressés de repeindre leur façade tandis que d'autres ont choisi de ne pas cacher la marque de leur épreuve. En fille un peu désabusée, elle trouve cela neat, comme de pouvoir apercevoir depuis le haut du château d'eau où elle monte parfois fumer, un énorme "HELP" bombé sur le toit de l'école en face de chez elle, abandonnée depuis. 

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On boit des bières, on joue avec ses amies à apple to apple en suçant des bâtons de glaçon parfumé. Un peu avant, les trois filles et leur copain collectionneur de capsules travaillaient ensemble à un dessin collectif truffé de spirales et de champignons.


En somme, elles ont l'air de vivre à la cool dans leur maison meublée à moindre frais (Alyssa a même trouvé pour sa coloc un chouette piano abandonné que celle-ci a appris à accorder) et peuplée de poils de chien. Le vieux labrador et son petit ont des gestes vraiment attendrissants. Ils se baladent librement d'un bout à l'autre de la maison-couloir. Alyssa dit qu'ils dégagent beaucoup de chaleur et qu'avant d'emménager dans le quartier, elle voyageait avec eux dans son van vert psychédélique et souffrait de la température intenable.

PS : Alyssa ne sort jamais sans sa spork. C'est pourquoi je lui en ai dessiné une, tintant sur sa hanche, pendue à un mousqueton. Si vous ignorez ce qu'est une spork, ce mignon dessin vous l'expliquera. 

mercredi 27 juillet 2011

NEW ORLEANS part 1 / first day

Mercredi 27 Juillet / DAY 19
"Déjà plus qu'un mois !" - oh spoilt little ones

Avant de commencer, pour vous plonger directement à la Nouvelle Orléans et mettre un fond musical à votre lecture, voici un extrait du concert des New Orleans 6 dont il est question plus tard dans ce message.


On the way to New Orleans

Nous n'aimons pas tellement l'idée d'arriver à la Nouvelle Orléans sans avoir croisé le Mississippi alors en quittant l'appartement de Bryant, nous naviguons un peu à l'aveugle dans Vicksburg pour trouver un endroit qui nous offrirait une belle vue sur le fleuve. 
La petite ville vit sur son passé sécessionniste. On croise de vieux bâtiments de briques, des maisons de bois avec porche et double porte en moustiquaire, on traverse des quartiers plus résidentiels qu'à Memphis, mais les maisons, toujours, sont un peu décrépies. Et puis on découvre le Mississippi.
Il est monstrueusement large. Le steamer blanc qui y mouille et la végétation folle sur la berge opposée complètent très bien le tableau, c'est pour ainsi dire comme attendu, aussi beau. Et l'air chaud dès le matin est étouffant. 

Nous écoutons Forever Changes de Love très fort, puis Bob Dylan sur la Highway 61 en direction de Natchez. Le temps passe vite. Les paysages ont quelque chose de joliment exagéré. La végétation est incroyablement luxuriante, son vert est d'une couleur intense ; une sorte de lierre énorme recouvre le sol et les arbres gigantesques, donnant au paysage des allures tropicales.

Natchez est une vieille bourgade (à l'aune du pays) coloniale, au bord du Mississippi, de petites maisons aux jardins bien tenus y côtoient d'imposantes demeures de planteurs, les rues sont fleuries et bordées d'arbres énormes, sombres, noueux et majestueux, avec leurs fameuses mousses espagnoles pendantes, comme on ne semble en trouver que dans le sud du pays.
Nous décidons d'y faire une courte pause avant de reprendre la route. 

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Alors qu'on a déjà un creux au ventre, on passe devant une cahute en bord de route qui indique hot tamales. Thomas s'exclame que c'est fameux, il en garde un souvenir enthousiaste, il ne nous en faut pas plus pour nous arrêter - ce serait très mal connaître Xavier que de l'imaginer renoncer à une telle étape. Ce sera notre apéritif, c'est-à-dire, nous mangerons quand même un vrai repas après hein ? Ces trucs-là consistent en un mélange de farines et de viande cuit à la vapeur dans des feuilles d'épis de maïs. Xavier reste sur sa faim. T'es sûr Thomas que ça se mange pas, demande-t-il en mâchonnant le contenant qui ressemble pourtant à du papyrus. 

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Sans savoir d'abord que cela rallongera notre voyage du jour de deux heures et demie, nous optons en repartant pour des routes secondaires cette fois, aux dépends des 
interstates, bien que celles-ci soient de toute façon bien plus plaisantes que les autoroutes françaises - la vue y est dégagée et les abords en sont changeants. De cette manière, nous suivons de loin le lit du Mississippi, que nous apercevons quelques rares fois, nous longeons d'anciennes plantations, nous croisons des foules d'oiseaux blancs, plusieurs rapaces. En clair des étendues presque vierges, des verts dépaysants, noyés parfois dans les marécages. 

Pas un chat sur la route. Après quelques dizaines de kilomètres, c'est morne plaine. Seuls des chevaux ou des vaches dans les champs et les aigrettes à leurs côtés animent le paysage. On double deux camions chargés de troncs d'arbres, on dépasse quelques puits de forage, des ponts militaires, des centrales électriques ...



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Puis je donne le volant à Xavier. On retrouve l'
interstate autour de Bâton Rouge, sous une pluie battante. On semble rouler sur l'eau à l'approche de la Nouvelle Orléans, sur des kilomètres, la route est en fait le tablier d'un pont très bas : à gauche l'énorme Lac Pontchartrain, à droite le bayou.

New Orleans

Avant d'atteindre la Nouvelle Orléans, on parvient à joindre Justin Newman par téléphone, notre nouvel hôte, qui nous annonce qu'à cause d'un contre-temps, il n'arrivera chez lui qu'entre minuit et trois heures du matin. On se figure qu'on veillera jusque là alors après avoir garé la voiture dans un endroit qu'on espère pas trop craignos, on s'engage à pied dans le French Quarter, autrement appelé Vieux Carré, le plus ancien quartier de la ville, entièrement répertorié comme national historic landmark

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Le sol est mouillé, il y a une odeur de pluie ... Je m'attendais à trouver une poignée de maisons coloniales au croisement des deux rues les plus fréquentées, il n'en est rien, elles sont partout. Les bâtiments sont hauts de deux ou trois étages, aux couleurs vives, aux balcons en coursives de fer forgé ou bien de fonte, où l'on retrouve souvent des plantes tombantes et luxuriantes dégoulinant d'eau sur le trottoir.


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On déjeune au Camellia Grill au milieu de l'après-midi. C'est une sorte de diner tout carrelé de blanc. Les tabourets habillés de cuir foncé sont disposés en U autour d'une d'allée où un serveur noir aux dents cerclées d'or fait le bonimenteur. A part nous, les quelques clients qui sont là ne l'écoutent pas vraiment. L'homme à la chemise rose et aux cheveux gominés qui nous fait face semble être le propriétaire des lieux. La cinquantaine avancée, il porte au poignet la grosse montre qui indique qu'il a réussi sa vie. Sa femme lourdement bijoutée et maquillée mange à côté de lui un burger, le portant à sa bouche tout à la fois avec précaution et ennui.

On découvre ensuite le Jackson Square, bordé de ses Palomba buildings. Diseurs de bonne aventure, musiciens, mimes et autres weirdos peuplent l'esplanade qui donne sur le cathédrale St Louis.
On explore, on zigzague et tourne en rond entre les rues Royale, St Charles, St Louis, Decatur, Toulouse, on évite les néons vulgaires, les enseignes tape-à-l'oeil et la musique envahissante de Bourbon Street que l'on rejoindra plus tard - c'est une longue rue -, plus à l'Est, après avoir quitté la rue Dauphine en direction du Faubourg Marigny.
Il s'agit de trouver la Frenchmen Street, à l'écart du centre, dont nous a parlé Bryant de Vicksburg. Lui non plus n'affectionne pas la cohue phosphorescente de Bourbon Street.

Les bâtiments aux galeries fleuries se font plus rares, des maisons en bois aux couleurs passées et à la peinture écaillée les remplacent. Les rues sont désertes ou presque, où sont les gens ? Où se retrouvent-ils pour boire un verre ? Cette partie de la ville laisse une drôle d'impression d'endroit inhabité, hormis le centre colonial franco-espagnol où grouille une foule de touristes et d'autochtones incroyablement accueillants qui nous lancent en nous croisant un how're you doing ? souvent agrémenté d'un grand sourire ou d'un oeil pétillant. A mesure donc que l'on s'en éloigne, les rues sont moins fréquentées, la peinture décrépit, les boiseries sont usées par le vent et la pluie, les trottoirs se craquellent et pas un habitant sous son porche, vaguement quelques personnes à vélo, tout semble vide.

On traverse l'Esplanade, grande rue bordée de ces arbres larges aux branches tombantes du sud marécageux des Etats Unis. Et puis on atteint Frenchmen Street, enfin un endroit vivant. On la descend, à la recherche du bar parfait pour se reposer et écrire nos cahiers. Mais on ne trouvera rien de cela : l'heure est avancée et tous les établissements proposent déjà des concerts qui résonnent jusque dans la rue.

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On opte alors judicieusement pour The Spotted Cat. Au comptoir, une pale ale à la main, on écoute The New Orleans 6, un sextet de jazz - Nouvelle Orléans oblige -, mais à la mode dixieland, piano, contrebasse, batterie minimale avec une chouette grosse caisse des années 20 ou 30, saxophone, trombone, trompette et voix : c'est délicieusement désuet, enjoué et bondissant. Le bar se remplit, on prend une deuxième tournée.




 Arrive ensuite l'heure de St Louis Slim & the Frenchmen Street Jug Band pour un set de ce que l'on apprendra plus tard être de la swamp pop (pop des marais). Le batteur du premier groupe troque sa batterie pour une washboard dont il joue fichtrement bien, cela me donne envie d'aller dépoussiérer celle qui se trouve au grenier du Lou et d'investir dans un jeu de dés à coudre.




On est un peu rincés par la journée mais honnêtement, il y a plus désagréable façon d'attendre que la nuit avance. D'ailleurs, on rigole pas mal et puis la musique, si bien exécutée, nous plonge parfaitement dans ce qu'il convient sans doute d'appeler l'esprit de la ville, je ne sais pas quoi dire d'autre, ce que nous imaginions quand nous préparions le voyage, penchés sur la carte des Etats-Unis ; nous avions tellement hâte d'y être. 




Interview bilan de Cécile & Xavier en 2 parties pour Radio Moustache

Allez tant pis une photo prise avec un téléphone portable ░┼░

Quelques sons pris dans la rue en sortant du Spotted Cat.


On quitte le bar vers une heure du matin. Notre hôte, censé rentrer chez lui entre minuit et 3 heures, est injoignable. Nous sommes trop fatigués pour poursuivre la nuit alors nous rejoignons la voiture, pensant discuter en attendant le coup de fil de Justin, mais à peine arrivés nous nous écroulons de fatigue.

Impossible pourtant de dormir vraiment, il fait horriblement chaud. En quelques secondes la buée obstrue les vitres. 
Mais les garçons ont peur que le quartier soit mal famé - comme il en a l'air c'est vrai -, il n'est pas question de s'endormir en laissant les fenêtres ouvertes. Cela ne serait pas exagéré de dire que c'était une expérience pénible, avoir si chaud ; je me le rappelle parfaitement. Dans un état de demi-sommeil, on ouvrait de temps en temps une portière, quelques secondes, pour faire entrer un peu de fraîcheur, sans résultat probant.

Je me réveille vers 2 heures et demie, suant à grosse gouttes, toujours pas de nouvelles. J'appelle Justin, il répond, il est au volant et se confond en excuses, il a eu un problème et ne sera pas chez lui avant 7 heures du matin. Il fait pourtant beaucoup trop chaud pour continuer à mal dormir dans notre carrosse coréen.
Nous partons donc à la recherche d'un motel. Rapidement nous en trouvons un, sur Canal Street, face à la brasserie Dixie Beer désaffectée. C'est tout comme dans un film : deux étages avec coursives en bois, grand panneau "Motel" façon 50's planté à l'entrée du parking, veilleur de nuit asiatique, fille noire assise sur les marches attendant quelque client ; puis notre chambre un peu miteuse, lit éventré, moquette râpée et robinetterie de merde, mais à cette heure, cela nous semble un havre de luxe providentiel. Je dors profondément du sommeil du juste.

lundi 25 juillet 2011

MEMPHIS / VICKSBURG / 1 day

Mardi 26 Juillet / DAY 18


Nous quittons Nashville le matin vers 9h, nous devons rouler jusqu'à Vicksburg, Mississipi, notre étape avant La Nouvelle Orléans, et même si n'avons pas pu trouver de logement à Memphis, pèlerinage musical oblige, nous avons très envie d'y aller. Si Nashville est la capitale de la country, Memphis est celle du rock'n'roll originel, que Elvis et ses compères du Sun Studio ont piqué à leurs voisins noirs. Parce que Memphis c'est ça, des blancs, des noirs, un conservatisme forcené et une pauvreté qui fait s'installer les noirs dans des baraques en périphérie, certains luttent, trouvent refuge dans la musique et tirent leur épingle du jeu. Au milieu des années 50, on y joue du rythm and blues, et quand arrivent les années 60, Memphis devient la Mecque de la soul sudiste avec le Studio Stax, Otis Reeding, Eddie Floyd, Rufus Thomas ou encore Sam & Dave...

On arrive là-bas sur les coups de midi, on se gare pas très loin du Studio Sun, qui se trouve donc un peu en périphérie de la ville, dans les bas quartiers. On s'installe dans une sorte de bar où la clim est à fond, à déguster de super Chili burgers et des frites crénelées ; il y a encore et toujours plus de glaçons que d'eau dans nos verres.

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Le Studio Sun est bien-sûr devenu un musée mais on y trouve plus facilement des mugs et des t-shirts à l'effigie d'Elvis que des 45 tours de Johnny Cash. On tente quand-même la visite, tout excités d'ailleurs. Notre guide répondant au nom d'Eldorado est assez marrant, ils nous fournit quelques anecdotes, quelques informations intéressantes, mais j'écoute parfois cela d'une oreille distante, tellement j'ai le regard accaparé par les vieux micros à rubans RCA et les énormes enregistreurs à bandes aux potards colossaux. Mes yeux pétillent.
La visite est de bien courte durée et je suis un brin déçu, c'est le studio de 1954, tel quel, et entièrement, que j'aurais voulu voir et non pas cette version partiellement muséifiée pour touristes nostalgiques, mais bon, c'est chouette tout de même.

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Il nous reste ensuite peu de temps à passer à Memphis et nous choisissons d'y faire un tour en voiture, aussi parce qu'il fait toujours extrêmement chaud. Le temps de s'arrêter au Studio Stax et de tenter en vain d'apercevoir Graceland depuis l'avenue E.Presley que bordent moult motels devant lesquels d'immenses panneaux affichent hommages et prières à la star décadente. Puisque l'entrée se monnaye, et cher, nous parcourons ses alentours, à la recherche de l'impression pittoresque que nous avait laissée peu auparavant la traversée de quartiers noirs, leurs maisons à la peinture défraîchie. Finalement, nous n'avons pas vraiment découvert Memphis, mais ce que nous en avons vu nous a un peu fait regretter de ne pas pouvoir y rester quelques jours. 

Nashville était la porte du Sud, à Memphis nous y sommes résolument et ce sentiment sera de plus en plus fort à mesure que nous continuerons notre chemin vers La Nouvelle Orléans.

C'est ainsi que la route - revêtement jaune sable - qui nous mène à Vicksburgh, bordée d'arbres immenses, denses, serrés et touffus et d'étendues marécageuses, nous ravit. Nous écoutons de la musique de La Nouvelle Orléans, Thomas conduit, Xavier somnole. Lorsque nous sortons de la voiture à la faveur d'un changement de chauffeur, sur une vieille station essence du Mississippi, une bouffée de chaleur moite nous engloutit, qui sent la terre ou la forêt après la pluie ; c'est presque violent.

On entame les derniers miles. Cécile lit tout haut "Je suis d'ailleurs", une nouvelle de Lovecraft. Il est presque vingt heures, le soleil n'est plus très haut et commence à rougir, nous sommes à quelques kilomètres de Jackson Mississippi, la route dessine ses premiers virages depuis Memphis - pendant trois heures j'avais conduit sur une ligne droite.

Nos hôtes à Vicksurgh sont deux garçons colocataires depuis peu, de notre âge à peu près, photographes pour un canard local. Ils plaisantent à propos du peu d'intérêt des faits divers qu'ils doivent illustrer et des moeurs très réactionnaires de leurs concitoyens, mais ils semblent aimer leur métier, bien qu'il les oblige à habiter cette petite ville de 17 000 habitants où peu d'étudiants vivent. Ce même soir, ils accueillent deux Américains très volubiles et chaleureux qui traversent aussi les Etats-Unis pour déménager sur la côte Est et qui en profitent pour passer leur été sur la route. Le garçon apparemment connaît la côte Ouest et son arrière-pays comme sa poche et nous prodigue une foule de conseils sur des endroits peu fréquentés à visiter et les itinéraires que nous pourrions adopter. Il nous fait un peu peur à parler de la chaleur intenable à cette saison dans la Death Valley et nous songeons vaguement à reconsidérer cette étape. Alors qu'ils se relaient à évoquer paysages luxuriants parsemés d'arbres fruitiers, animaux sauvages peu farouches, villes fantômes et tempêtes de neige, nous les écoutons avidement. 

samedi 23 juillet 2011

NASHVILLE / 2 days

Samedi 23 Juillet / DAY 15 (suite et fin) / Arrivée à Nashville

A Nashville, nous sommes hébergés dans une immense baraque en bois bleu d'un quartier résidentiel avec porche, balancelle et tout le toutim. Virgile, notre hôte, est français, habite Nashville depuis trois ans, étudie la philosophie, roule à vélo mais possède une Lincoln 70's non immatriculée et a des airs de Guillaume Depardieu. Il est très cultivé, particulièrement volubile et ponctue son discours de "hummm... c'est très intéressant" ou de "ouais, c'est vraiment très sympa".
On apprend beaucoup en sa compagnie, un point de vue non américain et de surcroît francophone est très rafraîchissant à ce stade du voyage et donne une lumière nouvelle sur la vie aux États-Unis.

On débarque donc le samedi soir chez lui et ses colocataires, une journée trop tôt apparemment ; nous sommes sales jusque sous les ongles de nos quatre jours de rando. On s'empresse de se doucher et de lancer une machine. Sur le coup de 21h30, une fois la nuit tombée, des gens débarquent et se rassemblent dehors pour un house show devant le garage, parfaite image d'épinal du garage américain où l'on verrait aisément un groupe d'émo rock adolescent répéter. Mais il n’en est rien. Derrière un écran de moustiquaire, dans un décor de salon XIXe baigné de lumière rouge, défileront un singer songwriter de country pop fm et Biceps Yankee, le groupe de pop ironico abstraite et arty dans le lequel Virgile joue de la harpe. Pour finir, Cécile et moi jouerons deux chansons devant un parterre essentiellement masculin, sirotant bière et fumant des clopes dans des rockin' chairs.

Après, il est tard, il fait toujours aussi chaud et moite, la foule se disperse ; je fume dans le noir sur les marches de la terrasse, enveloppé par la chaleur humide et le chant terriblement puissant de bestioles genre crickets, on croirait qu'il en a des milliers et que l'on est en pleine forêt tropicale. Quand le lendemain je pense à les enregistrer, nous n'avons déjà plus de piles dans notre appareil, je regrette maintenant tellement de ne pas avoir de trace sonore de ces ronronnements profonds qui semblaient m'encercler.


Dimanche 24 Juillet / DAY 16 / Nashville

De la maison, appartenant à la mère d'une des colocataires qui prévoit de la transformer en immense cabinet médical, par ailleurs outrée – ce qui n'a rien d'étonnant – de l'état dans lequel la tiennent ses habitants, nous n'aurons visité que le rez-de-chaussée, le garage-chambre de Virgile, et le sous-sol, tout en moquette et crépit blancs, où nous avons dormi trois nuits. Nous y avions accès à une salle de bains si sale que c'en était inquiétant ; le rideau de douche rongé par la moisissure, l'évier littéralement recouvert de crasse comme de bizarres coulées rupestres concourraient au tableau d'un endroit plutôt hostile où poser sa brosse à dents le temps de se rincer la bouche devenait hautement problématique.

Ce dimanche-là, Thomas se lève avant Xavier et moi, et revient avec tous les ingrédients nécessaires pour que nous partagions avec notre hôte une tournée de pancakes et, plus tard, une grande salade 
 ("avocats, tomates, féta, coriandre, piments et concombre" dit le chef) que nous mangerons sur le porche de la grande maison, assis sur la balancelle.

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Il fait trop chaud pour se promener avant que la soirée ne soit entamée, alors nous traînons un peu, à discuter avec Virgile des actualités (dont nous avons été coupés pendant une semaine). Et puis, puisque nous sommes arrivés un jour trop tôt selon notre itinéraire et que nous n'avons toujours personne chez qui aller à Memphis, nous pouvons prendre notre temps. J'en profite pour envoyer quelques nouvelles outre-Atlantique et consulter mes courriels. Je découvre les nouveaux titres des Spadassins, que nous avions enregistrés en juin. C'est tellement étrange d'écouter cela là-bas, dans cette chaleur, dans ce décor. Je suis frustré, aussi, de ne pas avoir assisté au mixage, mais on ne peut pas être partout et je suis loin d'être en reste. (Quatre de ces titres sont d'ailleurs sortis en 45tours en décembre dernier, et le disque est chouette comme tout.)

Ensuite, 
je reste seule dans l'immense maison, le temps de quelques heures, alors que les garçons fouillent les bacs de quelque disquaire. Virgile aussi est sorti, il suit des cours cet été. Depuis son ordinateur, j'envoie par mail des nouvelles à ma famille. J'avais reçu de la part de mes parents, de ma mamie, de ma soeur, des courriers inquiets quant à la canicule que nous traversions. Il fait certes extrêmement chaud ; à me reposer ainsi seule dans la chambre-garage de Virgile, je suis même prise d'une torpeur quasi tropicale. Mais comment dire, cela a quelque chose de très agréable. Au fond d'un moelleux fauteuil en velours, je bouquine plusieurs beaux livres sur la philosophie orientale, sur la statuaire pré-colombienne (toi même tu sais). Des insectes bourdonnent de l'autre côté de l'écran de tulle qui me sépare de la cour où déjà l'ombre portée des arbres poussant sous ce climat donne au moment des accents d'exotisme. Alors quoi.

Puis les garçons reviennent de The Great Escape et Grimey's les bras pleins de trouvailles, la température est un peu plus clémente, nous partons à la découverte du centre ville.

Malgré son allure artificielle, j'ai aimé Broadway. (L'excitation que j'ai ressentie à la descendre s'apparentait un peu au bizarre enthousiasme qui m'a prise chaque fois que j'ai parcouru les rues commerçantes de Lourdes). L'endroit est tout entier consacré aux attentes des touristes, exaltant d'une étrange façon un passé mythifié, à grands coups d'alignements dans les vitrines de babioles, de cartes postales vintage et de fringues généreusement décorées, dorées, brodées, d'affiches figurant les portraits de musiciens ayant marqué l’histoire de la country ou du rock ; les enseignes des bars et des boutiques, leurs façades de briques, un peu saloon, renvoient à toute cette imagerie western que nous connaissons bien. Et malgré cette saturation évidente du paysage, on devine que tout n’est pas si faux, que ce qui soutient cet amoncellement de choses, de sons, de réclames et de paillettes, est quelque chose de plutôt noble, sûrement sincère. 


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Des néons clament live music & beer. La musique est partout, diffusée aux passages cloutés, dans toutes les échoppes et dans chaque bar. Derrière les vitrines de tous les saloons, on peut voir un batteur de dos, accompagnant bien souvent un groupe de country FM. Les airs dans la rue se mélangent, créant une sorte de mélasse sonore et des syncopes de caisses claires.

Un groupe nous attire particulièrement. Ils ne sont pas FM pour un sou, plus country crado. Les musiciens, mal rasés, portent cheveux gras et clope au bec. Le contrebassiste nous interpelle du regard alors que nous passons dans la rue. Le groupe sonne, il se passe un truc là, on entend le ronronnement médium des attaques de cordes, pareil à une locomotive, comme dans tout bon disque de rockab’. Mais c'est sa panoplie parfaite, sa face espiègle, sa salopette, sa barbe énorme et ses tatouages, qui nous décident à rentrer au Full Moon Saloon.


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T for Texas, une reprise de Jimmy Rogers par Slim Chance & the Can't Hardly Playboys
enregistrée live au Full Moon Saloon, avec notre petit enregistreur Zoom

A la table voisine, trois soeurs sexagénaires permanentées complètent à la perfection cette carte postale du Tennessee. L’une d’elle semble d'ailleurs être une star locale d'un autre temps et monte sur scène le temps d'une chanson, pour le plus grand plaisir du public et de sa mère au premier rang, qui mimera même la contrebasse avec sa canne alors que Slim Chance & the Can't Hardly Playboys reprendront un vieux standard de Hank Williams.


Virgile nous a conseillé de passer voir la réplique du Parthenon, au Centennial Park. Un peu comme la Tour Eiffel, ce bâtiment a été construit pour une exposition  - en 1897 à l'occasion du centième anniversaire de l'état du Tennessee - et n'a finalement pas été détruit. A l'origine conçu en bois, en briques et en plâtre, il s'est dégradé, si bien qu'il a dû être rebâti, et nous n'en avons vu que sa seconde version, toute en béton à l'apparence de mauvais crépi, rien de bien fou fou à vrai dire. 

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Lundi 25 Juillet / Nashville day 17

Nous nous levons plus tôt que la veille : inutile de se préoccuper de la chaleur, nous visiterons  le Country Music Hall of Fame et y serons au frais. 
Ce musée, qu'on nous avait recommandé, relate - entre autres - l'histoire de la country music. Illustré de nombreux documents d'archives - vieux films, enregistrements d'époque, instruments du 19e, accessoires de scènes - le récit de l'émergence du genre est assez passionnant.
Moi qui n'y connais vraiment pas grand chose, je suis contente de passer enfin un peu de temps à découvrir quelques classiques. Le yodeling de Jimmie Rodgers, le choeur de cowboys sur une chanson de Patsy Montana, et surtout le génial "Sixteen tons" de Tennessee Ernie Ford m'enthousiasment, je prends bêtement beaucoup de notes...



La fin de l'exposition au premier étage évoque le tournant rock 'n roll de la country. On nous sert de la fougueuse Wanda Jackson, du sautillant Jerry Lee Lewis, du Carl Perkins et du grand Elvis, nous sommes ravis. 
Ensuite, les choses se gâtent, moins de musique, plus de paillettes. Quant on en vient au milieu des années 60 où le rock, entre autres raisons plus télégénique, tient la vedette, les airs country deviennent plus smooth, les musiciens plus strass ; ça nous enchante beaucoup moins. On fait le tour, éberlués quand même, de la solid gold Cadillac du King, et on s'arrête là pour la visite. Les autres étages nous ennuient, où de façon très anecdotique sont mis sous vitrine les biens de grands musiciens, et où on essaie de nous tirer des larmes en nous contant la fabuleuse destinée de quelque chanteuse néo-hillbilly devenue princesse de la country FM. 

Près de la sortie, il y a quelques ateliers pour enfants.  A leur disposition, des costumes de chez Nudie, ce fameux styliste de la country, en version papier, ou des cowboys et cowgirls à dessiner et colorier, cela me fait marrer, j'en prends quelques-uns en souvenir.



On part manger un peu en périphérie de la ville, dans une sorte de no man's land commercial. Le disquaire que nous avions repéré est fermé : finalement, on passe du temps dans un Goodwill, à l'abri de la chaleur, à shopper des tee-shirts d'occasion. Dans ces boutiques immenses et beaucoup moins foutraques que nos Emmaüs, les habits sont rangés par couleurs. On y trouve une quantité folle de fringues arborant des transferts d'équipes de sport, de clubs de maths, bon nombre d'articles en denim ou bien aux motifs félins. Pas très étonnant.

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Le soir, avec Virgile, on rejoint un bar de son quartier. Il fait nuit mais encore bien chaud. On marche le long des maisons du voisinage. Porche - pelouse - promenade / sidewalk - pelouse - route. Inévitablement, on pense à toutes ces séries ou films où un type à vélo distribue le journal du jour en le lançant simplement sur les pelouses pendant que joggers et dog-sitters occupent la promenade. (impossible de penser à un extrait là. Des idées ?) Comme souvent, la carte des bières est très fournie. Nous discutons de la quantité de glaçons dans les verres (9), du point de vue américain sur l'écologie, de la prégnance de la religion dans le Tennessee et de musique. Un type nous entend parler français et se pointe à notre table nous servir quelques phrases de son crû. C'est une bonne soirée.