mardi 19 juillet 2011

GREAT SMOKY MOUNTAINS / PART 1 / 3 days

Mardi 19 Juillet / DAY 10 / en route vers Asheville



On part de Baltimore tôt le matin, direction le District of Columbia, la capitale de l'Union, un territoire un peu particulier : ni une ville, ni un Etat.

La route est belle mais sans plus. Par contre, plus on s'approche de Washington, plus elle est large et classy.
Les limites de vitesses sont largement inférieures à celles auxquelles nous sommes habitués. Il fait extrêmement chaud, des cadavres de pneus éclatés jonchent la route, je n'avais jamais vu cela auparavant.

Dans la voiture on écoute une nouvelle fois les compilations des copains. Après avoir découvert celle de Valentin, l'éponyme « CAUSES TU COAST », sur la route qui nous menait vers Baltimore, nous avions écouté la veille celle de Carole, en forme de
blind-test puisqu'elle n'avait pas eu le temps d'indiquer les titres des morceaux qui y figuraient. C'était donc au tour de Sylvain de nous faire swinguer. Sa compilation acclimate nos oreilles au son de La Nouvelle-Orléans. Un morceau de Boris Vian nous fait pouffer à plusieurs reprises, il nous restera dans la tête très longtemps. On apprend aussi, à la faveur d'un long morceau de Coltrane, que la mère de Cécile n'aime pas tellement ce type pièces de jazz interminables.
La compilation que Yann nous a préparée est très chouette aussi, ponctuée d'interventions piquantes d'un speaker des années 60 peut-être. Elle respecte le dessin de notre itinéraire, s'ouvrant sur des morceaux de groupes new-yorkais et se concluant par de nouveaux hymnes californiens.

Puis les abords de Washington se dessinent, on aperçoit le Capitole. Je suis vaguement ému ; quelques jours avant, dans l'avion, je regardais ce chef d'œuvre de cinéma musclé US qu'est
Die Hard IV. Ensuite apparaît l'Obélisque.
On passe juste à côté du Pentagone, un peu trop d'ailleurs puisqu'on a droit à un contrôle policier. Une officière check sa liste d'entrants et évidemment nous n'y figurons pas. Nous lui expliquons que nous souhaitons simplement visiter le cimetière d'Arlington tout proche, elle nous indique alors très aimablement la route.

Le Arlington National Cemetery est très impressionnant, plus de 290 000 personnes sont enterrées sur ce terrain de 2,53 km², des victimes de toutes les guerres auxquelles les américains ont participé.
En plus de parcourir les sentiers qui sillonnent entre ces très nombreuses tombes, il est possible de visiter un musée consacré au Colonel Lee, situé dans son ancienne maison. Il est un peu cheap, mais on comprend mieux après y avoir fait un tour la torture qu'a dû être pour cet homme de choisir entre son Etat et l'Union.

Pour être inhumé dans cet immense cimetière, il faut ou bien être un ancien combattant, un ancien militaire décoré, un ancien membre des forces armées ayant servi au gouvernement fédéral, ou bien un président ou ancien président des États-Unis. Les épouses et enfants mineurs des ayants droit peuvent également y être enterrés.



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Nous avons la chance d'assister à la relève de la garde devant la tombe des Soldats Inconnus. C'est absolument impressionnant, rien à voir avec les protocoles français ou anglais par exemple ; la gestuelle de cette sorte de cérémonie, prise en charge par trois gardes, semble réglée à la seconde et au centimètre. Sans doute leurs intonations de voix répondent-elles aussi à des règles très précises. Malgré la chaleur quasi insoutenable, je crois que j'aurais pu rester longtemps devant ce spectacle. Bon sang, c'était fascinant. Et par ailleurs, je ne sais alors pas bien quoi en penser. Je refuse un peu de me laisser émouvoir par ces honneurs, parce qu'ils sont militaires, mais suis très sensible à l'aspect spectaculaire et rituel du ceremonium, d'autant plus qu'il rend hommage à des anonymes. L'inscription tombale « here rests in honored glory an American soldier known but to God » m'impressionne profondément.

La tombe abrite les soldats inconnus américains des Première et Seconde Guerres mondiales, ainsi que de la guerre de Corée et de la guerre du Viêt-Nam. Depuis le 6 avril 1948, elle est gardée en permanence, 24 heures sur 24, par des soldats du 3e régiment d'infanterie de l'US Army.


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Nous visitons aussi la tombe de John et Jackie Kennedy, aux lignes plus sobres que les autres grands monuments, et nous attardons à lire les citations de JFK gravés autour du tombeau. Cécile les trouve parfois va-t-en-guerre, je suis assez d'accord mais je ne peux pas m'empêcher de trouver beau cet allant.


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À l'heure de repartir, nous nous rendons compte que nous n'aurons pas le temps d'aller voir Mount Vernon, la demeure de George Washington. La route vers Asheville est très longue, ponctuée de violentes averses sur sa fin. Il s'avère en fait que nous avons sauté une étape, ce dont nous nous rendrons compte bien trop tard : nous avions prévu de nous arrêter dormir dans une ville de Virginie, Alexandria si je me souviens bien. Nous avons donc roulé, roulé, plus de neuf heures ! Lorsque le soir nous nous sommes arrêtons pour diner dans un Cracker Barrel, il fait nuit noire. L'impression de se trouver au milieu de nulle part en est très accentuée. Le resto, à la décoration rustique très factice, appartient à une chaîne, c'est en quelque sorte le Campanile local ; la bouffe y est bonne et ultra pas diététique. Les gens autour de nous semblent tous très gros.  


Nous débarquons un peu après minuit chez Mike, aux environs proches de Asheville. Comme les autres fois, nous sommes accueillis très chaleureusement. La mère de notre hôte ainsi que ses enfants ont aussi veillé jusqu'à notre arrivée devant la télévision. Nous discutons un peu en sirotant les bières chaudes que nous avons apportées avant de nous coucher dans le salon – plutôt que sur la terrasse, à cause de l'impossible vacarme de quelques insectes. Il y a là plusieurs instruments, des canapés dépareillés, une grande table envahie de paperasse, des tableaux qui attendent d'être accrochés. La maison est très grande semble-t-il et sans qu'elle soit sans-dessus-dessous s'en dégage une ambiance de joyeux bazar. Mike l'a entièrement retapée ; en plus d'être élagueur, il rénove des bâtisses selon des principes écologiques. Quelque part, you could tell, cela se devine rien qu'à le regarder. S'il habite ainsi à l'orée d'une ville, dans une maison pareille, c'est sans doute parce qu'il est attaché au naturel et au grand air. D'ailleurs, il nous propose de nous emmener le lendemain dans sur ses sentiers préférés dans la montagne ; s'il continue à trop pleuvoir, ce n'est peut-être pas une bonne idée de persévérer dans l'idée de camper trois nuits. Sa mère est assez bavarde, elle nous pose quelques questions et en profite pour évoquer son unique voyage en Europe. Le lendemain, c'est elle qui nous apportera de quoi partager un copieux petit-déjeuner. Le grand classique : bagels, cream cheese, café et jus d'orange. C'est une vieille dame très vive, positive, attentionnée ; donc attachante.




Mercredi 20 Juillet / DAY 11 / l'entrée dans le parc


Nous avions peur la veille qu'il ne pleuve pendant nos trois jours dans le Great Smoky Moutains Park, parce que nous avions reçu une violente averse avant d'arriver à Asheville ; mais le mercredi il n'en était rien, quelques gouttes inoffensives et de la lumière crue dès le matin.
Nous avons quitté la maison assez tard, après le copieux petit déjeuner offert par Elizabeth. Il fallait que nous achetions du matériel pour la randonnée et le camping, de quoi manger pendant trois jours, et cela nous a pris pas mal de temps. Xavier et Thomas s'en sont chargés surtout, c'est un peu un truc de garçons semble-t-il (tensions).

Le midi, nous avons pique-niqué dans un « joli coin de campagne ». C'est une expression qu'affectionne Xavier, qui d'habitude la dit dans un sourire avec une pointe d'ironie ; ce sont par expérience des endroits difficiles à trouver - vous connaissez bien ces fois où, pour une pause repas, vous décidez de quitter l'autoroute et de tenter de vous perdre en campagne pour trouver une niche de verdure qui fasse vacances - ; souvent, on se retrouve pour finir sur un bout de pelouse assez décevant. Mais c'est bien de cela qu'il s'agissait, avec le sentiment de pouvoir aller où bon nous semblait, nous nous sommes enfoncés par d'étroites routes dans des bois étrangers ; peu importait finalement que nous trouvions un endroit extraordinaire où nous arrêter, pourvu qu'il ne déçoive pas nos prérogatives de roadtripers. Nous avons donc choisi un coin perdu en altitude obturé par une forêt dense dont l'intérêt résidait plus dans sa quête que dans sa configuration même. Nous retrouver ainsi dans du vert était comme un enthousiasmant avant-goût des jours à venir. Il avait plu quelque temps auparavant, l'eau s'évaporait du sol et des feuilles, l'atmosphère moite avait bien quelque chose d'exotique.

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Nous sommes arrivés au visitor's center en fin d'après-midi. Une jeune fille, ranger volontaire, nous a accueillis de sa voix désagréable et renseignés sur les pistes à emprunter, les endroits où camper, de façon sûrement trop dilettante. Nous en avons profité pour remplir d'eau des gallons entiers.
Ensuite, nous avons repris la route jusqu'à Clingmans Dome, où nous devions garer notre voiture. C'est un endroit très fréquenté, l'été du moins. De nombreux touristes chaussés de claquettes s'y pointent en 4x4 histoire de profiter de la vue offerte au terme de l'ascension confortable d'une une grande structure bétonnée. Nous avons pour notre part directement entamé la courte randonnée qui nous séparait du campsite 68, nous n'avions pas tellement de temps à perdre si nous voulions profiter des dernières heures du jour une fois notre tente plantée.


░┼░ est un as de Photoshop


Sur la carte, le camp nous semblait assez proche mais les 3,1 miles (environ 5 kilomètres) qui nous en séparaient nous ont finalement pris un peu plus d'une heure et demie de marche pourtant soutenue ; sans doute à cause du poids de nos sacs. Le sentier, tout en descente, était fort escarpé, parcouru de racines et de rus, jonché de pierres un peu instables. Nous sommes arrivés audit lieu un peu avant 20h.

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cette photo fait tellement mal aux yeux
que c'est seulement maintenant que je me rends compte que Xavier et Thomas y figurent 

Nous repérons le campsite 68 grâce à une petite tente igloo qui y est déjà plantée, c'est un endroit de terre plane au milieu de quelques arbres, de magnolias en fleurs, près du fond de la vallée sans doute, et aux abords duquel coule une rivière sur d'énormes rochers polis. Thomas, avant même d'être vraiment arrivé, se promet de s'y baigner le lendemain et d'y faire quelques glissades et si la température de l'eau de m'avait pas freinée, je me serais rangée avec enthousiasme à cette perspective.
Seulement, Xavier, en descendant sur place, aperçoit une pancarte qu'il m'envoie lire et qui dit « this campsite has been closed due to aggressive bear behaviour » et plus bas « unlawful removal of this warning would result with injury to other hickers », (suite au comportement agressif d'un ours, ce campement a été fermé. Il est interdit de retirer cette pancarte d'avertissement sous peine d'atteinte physique à autrui), quelque chose comme cela, accompagné d'un pictogramme représentant un ours hostile.

Nous ne savons pas bien comment réagir. Ces pancartes, pour dissuasives qu'elles soient, restent discrètes, nous en voulons pour preuve la présence de la tente igloo – et pourtant, elle est vide – . Nous pestons contre la ranger de l'accueil qui nous a manifestement mal informés ; il est trop tard pour poursuivre jusqu'au campsite 69 puisqu'il se situe à 7,4 miles (12 kilomètres) de là, et d'ailleurs, nous pourrions y rencontrer la même pancarte. Notre envie de passer enfin une nuit de camping nous empêche d'envisager sérieusement de remonter à la voiture dans la nuit. D'ici une heure, le soleil doit se coucher.

Nous plantons notre nouvelle tente et commençons à préparer à manger, des pâtes pré-cuisinées qu'il faut faire longuement mijoter. J'allume le dictaphone numérique pour immortaliser cette première étape un peu plus sauvage du voyage et enregistre le son de la rivière et du réchaud à gaz. C'est à ce moment qu'un jeune ours noir se pointe. Thomas est le premier à le voir et tout d'abord, nous sommes plutôt émerveillés en même temps qu'apeurés. Xavier, en grand amoureux de la faune, est même ravi ; mais il s'agit sans doute possible de l'ours agressif en question et la peur nous envahit assez vite bien qu'il reste immobile, à une dizaine de mètres de nous.
Thomas et Xavier, qui ont lu les recommandations des rangers du parc à cet égard, tentent de le chasser en jetant des pierres ou des bûches dans sa direction. N'ayant pour ma part pas pris connaissance de la marche à suivre, j'ai peur que cela n'excite l'animal et pousse malgré moi des cris inquiets. Mais l'ours reste absolument impassible et ne recule que tranquillement sous les jets. À chaque fois, il disparaît quelques temps, pas même une minute, et réapparaît à un autre coin du campement, de plus en plus près. Je reste sur place immobilisée par quelques vagues de panique, c'est un peu comme si le fait que je tienne le dictaphone excuse que je ne fasse rien pour chasser l'ours. Puis, dans un ultime essai d'intimidation, Thomas nous fait sursauter en se mettant d'un coup à pousser de puissants cri de bête, agitant ses poings serrés au dessus de sa tête et martelant le sol de ses pieds. Et même dans un moment comme celui-ci où c'est sans doute tout ce qu'il nous reste à faire, je m'extrais un court moment de la scène et pouffe nerveusement. Je pense déjà Dieu quelle aventure. Xavier aussi attend sans doute de voir si cela aura quelque effet sur l'ours puisqu'il n'imite pas Thomas ; et finalement, l'ours s'éloigne vraiment.


(attention, ceci est la preuve – de beaucoup de choses mais notamment  que Xavier, qui aurait rêvé d'être taxinomiste, a tout d'abord pris l'ours pour un COCHON)
(pour la retranscription écrite, c'est par là (7) ) 

Alors que nous pensons l'avoir chassé pour de bon, nous nous mettons d'accord pour manger rapidement dès que les pâtes seront prêtes. Bien sûr, chacun considère plus ou moins silencieusement l'idée de quitter le camp, mais je me charge quand même d'installer matelas et duvets dans la tente pendant que Xavier réunit les potentiels appâts à ours – cosmétiques et nourriture en boîte – dans son sac à dos avant de le hisser à un mât prévu à cet effet. Il fait toujours vaguement jour sur le camp encaissé dans la vallée mais les ombres des arbres s'allongent vite.

Lorsque j'ai terminé de nous installer une couche douillette, je m'extrais de la tente un peu rassérénée. Mais un méchant sursaut sape tout cela en une seconde quand je reconnais l'ours, à peine tapi à quelques mètres de moi. Je crois bien que je crie et que je prie les garçons pour que nous nous cassions. Nous sommes tous les trois effrayés maintenant et prenons la décision très rapidement mûrie de déguerpir. Le consensus est facile. Je crois qu'on se sent vraiment menacés. Impossible d'imaginer dormir à cet endroit. Je n'ai pas vu l'ours se dresser sur ses pattes arrières mais les garçons disent que c'était impressionnant et j'avais sans doute le dos tourné à ce moment-là, à commencer à vider la tente. Les affaires sont rangées à la va-vite, Xavier affale son sac à dos et y enfourne tout ce qu'il peut contenir, c'est à peine si nous prenons le temps de rouler nos duvets alors que l'ours s'approche dangereusement, en direction de la casserole de pâtes que Thomas a vite déversée sur un rocher. Et la tente, on fait quoi de la tente ? On la laisse putain. Non, on la plie. Quoi non non non. Mais on reviendra jamais la chercher putain, on reviendra jamais la chercher !
On laisse la tente, on grimpe quatre à quatre à flanc de montagne à la recherche d'un sentier, mais putain c'est par où, sans trop se retourner, je porte en plus de mon sac à dos un duvet toujours déplié, chacun a du bazar dans les bras.

Et finalement on retrouve assez vite le sentier emprunté à l'aller, on range mieux nos affaires et on entame sagement notre remontée, d'un pas soutenu. Il fait déjà bien sombre. Aux environs de 21h, Thomas dit « il ne fera pas plus noir », et cela se révèle faux. Il est le seul à posséder une lampe de poche, un petit modèle heureusement puissant, alors c'est lui qui ouvre la marche. Je le suis en devinant ses pas et je ne sais pas comment Xavier, qui marche derrière moi, se débrouille dans la nuit mais on arrive à maintenir le rythme. Régulièrement, lui et moi sommes cependant contraints de nous arrêter et Thomas s'interrompt pour nous éclairer le chemin, qui est naturellement aussi accidenté et boueux qu'à l'aller. Plusieurs fois, je pose le pied sur une motte de terre qui se détache ou une pierre qui bascule et alors je jure tout bas, mais au fond, je suis contente parce que cela sort vraiment de l'ordinaire, une aventure pareille, randonner dans la nuit, et alors que mes sens sont tout entiers concentrés sur la marche – n'est-ce pas incroyable de ne s'être même pas tordu la cheville ?  ma pensée goûte silencieusement l'expérience nouvelle. Thomas, devant, est plus inquiet, parce qu'il tient la lampe. N'importe quel animal peut s'inviter dans le faisceau. D'ailleurs, il me refuse une pause alors que j'ai envie de boire. Je ravale donc mon enthousiasme un peu déplacé et attends avec impatience d'être arrivée à la voiture pour en parler en mangeant quelques fruits secs et succédanés de figolus®. Et d'ailleurs, je doute encore c'est vrai que nous y parvenions, le chemin semble s'allonger à mesure que nous avançons, je ne reconnais pas les endroits où nous sommes passés quelques heures plus tôt. Mais je me dis que dans le pire des cas, nous veillerons jusqu'au petit jour emmitouflés dans nos duvets – je ne sais pas alors que nous avons oublié en bas celui de Thomas.

Et puis vers 23h30, les cimes des arbres n'occultent plus le ciel, nous reconnaissons les premiers kilomètres du sentier, pavés de linteaux de bois. Bientôt nos pieds sont ravis de fouler l'asphalte du parking. Nous sommes crevés.
Les garçons n'ont pas envie comme moi de veiller encore, de manger et de discuter. Il n'est même pas question de dormir à la belle étoile – de toute façon Thomas n'a pas de duvet. Nous avons un peu peur aussi que des rangers ne nous repèrent et nous chassent du parc s'ils nous poussent à raconter que nous avons enfreint ses règles. Alors après quelques clopes, nous nous installons tant bien que mal dans la voiture pour une nuit courte. Il faudra le lendemain repartir assez tôt récupérer la tente.




Jeudi 21 Juillet / DAY 12 / repos



Nous nous réveillons avec le soleil dans la voiture. L'habitacle est tout embué. Aucun de nous n'a véritablement bien dormi mais après un bon petit-déjeuner, où nous expérimentons pour la première fois le bol de céréales/lait en poudre, et une toilette de chat à l'eau froide, nous nous sentons d'attaque pour refaire en une matinée l'aller-retour de la veille. Cela n'a rien évidemment rien de très excitant, nous savons d'avance que notre effort sera mal récompensé, parce que le trajet n'était pas ponctué de points de vue sur la vallée qui soient susceptibles d'offrir des changements intéressants ou quoi, mais deux d'entre nous peuvent randonner sans sac sur le dos et puis nous sommes curieux de considérer dans la lumière du jour le chemin que nous avons dû emprunter à l'aveuglette.

Lorsque nous arrivons dans les environs du campement, nous cherchons des yeux notre tente avec une once d'inquiétude. On aperçoit bien l'igloo multicolore à travers les branchages, mais rien de plus. Force est de constater à notre arrivée qu'elle a disparu. Pendant que Xavier et moi auscultons les lieux – au fond, on aimerait trouver une belle trace de patte d'ours – Thomas part alentour et revient rapidement portant une grande toile orange à bout de bras, que nous déployons. Feu notre nouvelle tente. Elle a été salement amochée, à coups de griffes dans la moustiquaire. Il s'est roulé dedans ou quoi ? Comme elle n'a pas de double toit, cela nous ennuie vraiment. C'est possible que nous puissions la monter à nouveau – Xavier ramasse les arceaux épars – mais s'il pleut ? 


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Et ne vous y trompez pas, la tente igloo, sous ses airs d'avoir échappé à la tourmente, s'est révélée complètement amputée d'un de ses pans. 

Nous roulons vite fait la nôtre dans sa housse, Thomas n'a pas envie de traîner ; on fera la pause goûter plus loin. C'est sûr, ça va lui rester. Moi qui ai eu la frousse la veille avant de quitter le camp, je ne pense même pas à notre copain plantigrade. C'est comme si Thomas, lui, avait très vite subi une sorte de retour de sang-froid. Pendant ce temps, Xavier voudrait nous faire croire qu'il regrette toujours de ne pas avoir gratouillé l'ours entre les oreilles.

Au cours des derniers kilomètres du retour, nous rencontrons un couple et leur fille, âgée d'une dizaine d'années, qui nous demandent leur chemin. Ils s'amusent à tenter de deviner notre nationalité. Si Thomas brouille les pistes grâce à son excellent accent, nos chaussures et chaussttes nous trahissent manifestement. 
« I was thinking, maybe Austrian » dit l'homme. Ce à quoi elle répond, « Come on. Only French would hike wearing those ! ». Nous en venons à leur parler de notre aventure et de nos destinations futures, ce à quoi ils répondent par des récits de voyage. Leur fille écoute discrètement, accroupie, à tracer des motifs sur le sol du bout de son baton. Eux nous racontent comment, alors qu'elle était petite, ils l'emmenaient en randonnée et la tenaient en laisse. Bon sang, mince, elle était en laisse, on pense. Et alors on entend tous sa petite voix à nos pieds, un peu cartoonesque, à la fois moqueuse et pleine d'un léger ressentiment : I actually was !
Ça nous a autorisé à en rire.


Une fois arrivés à nouveau au parking, nous décidons d'opter pour un après-midi tranquilou et une une nuit itou, à l'abri dans un camping du parc. Nous n'avons à vrai dire pas tellement le choix, Thomas doit partir en ville acheter un nouveau duvet et du duct tape pour que nous rafistolions la tente.
C'est l'occasion d'une grande toilette pour chacun, au choix dans la rivière ou au-dessus des lavabos des sanitaires. Le confort dans les campings des parcs nationaux reste spartiate. Certains y remédient d'ailleurs de façon spectaculaire, puisqu'ils y séjournent dans des camping-cars de la taille de votre salon. (Thomas dit avoir vu qu'une famille avait emporté sur place un véritable vaisselier en bois. Cela vraiment nous estomaque, parce que nous n'y trouvons pas une grande logique.)

Une ranger gironde, chaleureuse comme une maman de substitution, nous fait remplir un formulaire intitulé « bear incident report », et frémit à notre récit. Quand elle remarque l'état de notre tente, elle se met même à pousser quelques sons emphatiques et pleins de compassion. Malgré tout, on omet volontairement de dire qu'au lieu de jeter notre diner à la rivière, on l'a bêtement laissé à l'ours.


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Quand Thomas revient de sa virée en solitaire, il sort de sa hotte un rouleau de scotch salutaire, d'authentiques mocassins indiens pour lui-même, pour chacun une paire de marcels blancs bon marché (c'est qu'il fait sacrément chaud) (on se tape une bonne rigolade en les enfilant) et un pack de bières bienvenues qu'on sirote près du feu. La nuit est tombée et avec elle sont apparus d'enchanteurs insectes luminescents par dizaines, que nous prenons d'abord pour des feux follets. Ils volent dans tous les sens près du sol, c'est un peu fascinant à voir.  

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